
Île de Groix.
Quand une auberge de jeunesse revisite des constructions du passé
L’Île de Groix est située dans le Morbihan au large du continent, à 8 kms environ de Lorient. Depuis la gare maritime de cette ville portuaire, on rejoint en ferry Port-Tudy, après une traversée de 45 minutes. 2 360 personnes (recensement de 2016) vivent à l’année sur celle Île de 24 km2 qui se prête à la randonnée à pied ou à vélo, un chemin côtier permettant d’en faire le tour. On compte 22 000 personnes en été. Cette réserve naturelle est formée d’une alternance de falaises – dont certaines peuvent avoisiner 40 mètres de hauteur – et d’étendues de sable, blanc sur la plage convexe aux contours changeants des Grands Sables, grenat sur la Plage des sables rouges. On visite l’Île de Groix pour son patrimoine naturel, mais aussi pour ses attraits culturel et historique… On peut s’intéresser à son occupation par les Vikings qui y ont laissé des traces (tombeaux, armes, bateau…), à ses premiers visiteurs qui viendraient de l’Îsle de Bretagne (Grande Bretagne aujourd’hui), à la seigneurie d’Hennebont ou à l’Abbaye de Sainte Croix de Quimperlé. On peut aussi s’attacher aux activités économiques, particulièrement la pêche au thon qui, sur cette île, commence au milieu du XIXe siècle1, faisant d’elle le premier port thonier de France.
« L’île de Groix se spécialisa dans la pêche au thon ; devenue le premier poste de vente de ce poisson, elle fut promue quartier maritime à part entière entre 1883 et 1923 »2.
Atteste de ce passé prestigieux le thon qui fait office de girouette sur le clocher de l’église du bourg Port-Tudy, rendant ainsi hommage aux pêcheurs du secteur et dont parle avec humour cette archive d’un reportage diffusé à la télévision française le 30 juillet 1988.
Mais à se délecter de ces plages et paysages, on pourrait en oublier que l’Île a été occupée pendant la Seconde Guerre mondiale, et qu’ici comme ailleurs, elle a connu les privations et la contrainte. Quelques constructions encore en place le rappellent, même si beaucoup de celles érigées par l’Organisation Todt ont aujourd’hui disparu.





Une île fortifiée
Les premiers Allemands arrivent à Port-Louis, à proximité de Lorient, le 21 juin 1940. Le lendemain, ils débarquent dans l’Île de Groix. Quelques jours plus tard, les forts de l’Île sont occupés, les écoles réquisitionnées. Au total, 3 400 soldats allemands occupent l’Île pendant 59 mois, s’installant dans cette ancienne position de défense de la rade de Lorient qui, déjà aux XVIIIe et XIXe siècles, remplissait un rôle stratégique. L’île – tout comme Belle-Île et la presqu’Île de Quiberon – est choisie par la Kriegsmarine pour protéger le port de Lorient. Ainsi Emmanuelle Delaigues et Hervé Ronné mentionnent-ils :
« 25 sites de défense, 28 ouvrages bétonnés dont 26 utilisables, une centaine de tobrouks et deux câbles sous-marins reliés au continent. L’île était également équipée d’environ 74 canons dont certains en bois pour servir de leurres, deux télémètres, trois radars , six projecteurs, des mortiers et de nombreuses mitrailleuses »3.
Par exemple, la batterie côtière lourde Seydlitz est constituée
« de deux tourelles provenant du croiseur Seydlitz, armée chacune de deux canons […]. Non loin du poste de direction de tir, se trouvait en encuvement un canon de 150 mm tirant des obus éclairants. Neuf pièces antiaériennes de 40 mm Bofors et quatre de 20 mm défendaient l’espace aérien. L’équipage formait la 5e batterie du 264e groupe d’artillerie de marine. Un radar de recherche sur but marin See-Riese et un projecteur de 1,50 m complétaient l’équipement de la batterie »4.
Pendant toute la durée de l’occupation, l’Île de Groix vit évidemment au rythme des Allemands, selon toutefois des caractères spécifiques du fait de ses activités de pêche. Comme l’explique Jean-Christophe Fichou dans son ouvrage paru en 2008, Les Pêcheurs bretons durant la Seconde Guerre mondiale, la pêche en mer ne s’interrompt pas totalement au cours de cette période bien qu’elle soit nettement réduite. Selon le chercheur en effet,
« la pêche de la sardine et du maquereau en particulier, perdure pendant toute la Seconde Guerre mondiale sur le littoral atlantique ; les pêches côtières connaissent un réel renouveau et la flottille compte plus de bateaux en 1943 qu’en 1938. Le conflit n’interrompt pas le nouvel élan amorcé en 1937, bien au contraire. Malgré les contraintes multiples, anglaises, allemandes et vichystes, la pêche perdure. L’Occupation renforce une activité longtemps jugée secondaire qui génère son propre modèle économique de guerre, “parce que la France a faim” »5.
Jean-Christophe Fichou récuse l’idée selon laquelle les interdictions, réquisitions et limitations, certes bien réelles, auraient empêché toute activité. Pour le chercheur,
« les bateaux de pêche disposent d’une réelle liberté d’action qui n’est vraiment limitée que par l’approvisionnement en carburant, beaucoup moins par les restrictions allemandes. Ainsi, on retrouve des thoniers ou des maquereautiers très au large des côtes bretonnes » (ibidem).
Si la fréquence des sorties en mer diminue néanmoins au fur et à mesure des mois, notamment du fait des champs de mines et des difficultés d’approvisionnement en matériel de pêche et en carburant, les activités de pêche perdurent. Quelques faits en attestent, telle la déclaration – citée par Jean-Christophe Fichou – du patron de l’A-Dieu-Vat. (Brest, mai 1944) :
« Le 13 mai à 2 h 15, j’ai entendu une vive canonnade. Vers 9 heures, je suis passé parmi les épaves de toutes sortes provenant d’un bateau de pêche ? Il y avait en particulier des paniers à poissons, des morceaux de bois peints en gris, sur certains on voyait un filet rouge. Je suppose donc qu’elles provenaient d’un thonier chalutier à voile de Concarneau qui la veille avait pêché avec nous. »
Dans une autre contribution, Jean-Christophe Fichou6 relate les attaques de l’aviation britannique que connaissent en différentes circonstances les pêcheurs, une situation qu’exploite – sans succès de l’avis du chercheur – l’Amirauté à des fins de propagande.
« Pour le gouvernement de Churchill, il faut interdire le ravitaillement des troupes et de l’industrie allemande, il faut couler tous les bâtiments, quels que soient leurs pavillons, qui se présentent ou peuvent se présenter dans un port occupé et susceptibles d’apporter une aide quelconque à l’Allemagne hitlérienne » (Fichou, 2008 : 64).
Des bateaux de pêche peuvent ainsi être attaqués par l’aviation anglaise tel que le relate, comme plusieurs autres personnes, « le patron du dundée thonier Joie-des-Anges, immatriculé no 2849 Groix, [qui] est en pêche le 10 août 1942 lorsqu’il est attaqué par un avion portant sur sa coque les marques anglaises » (op. cit. : 68). Dans un tableau listant les 50 navires français touchés par les attaques britanniques, quatre sont de Groix. Deux ont coulé après avoir été mitraillés. Des drames qui prouvent que les activités de pêche continuaient, en dépit des risques encourus.
Mais l’Île de Groix, c’est aussi un lieu de détention, celui que l’on trouve au Park el loer (Parc de Loëgue) qui, d’ailleurs, a fait l’objet d’un documentaire en 2008, sous le titre Le Bagne de Groix (Cédric Le Corf). Dans ce film, l’artiste explique que des détenus travaillant au fort du Haut-Grognon auraient subi des conditions telles que 46 d’entre eux avaient perdu la vie. Alain Chazette et Jacques Tomine (2011 : 22) racontent :
« Au printemps, pour construire les ouvrages de défense, les Allemands font venir dans l’île 223 détenus, requis et prisonniers de droit commun, sortis des prisons de Bretagne. À moins de 100 mètres du Bourg, l’occupant a bâti un camp pour eux. Battus, mal nourris, souffrant du froid pendant l’hiver, ils tombent comme des mouches et sont enterrés dans des fosses communes sans même que l’on prenne la peine de noter leur décès ».
C’est notamment cette histoire que Cédric Le Corf veut exhumer. D’origine allemande et vivant à l’époque à Groix, l’artiste entend « protéger l’Histoire de l’oubli : “Le passé n’a de sens que s’il a un sens pour le présent” » (« Cédric Le Corf : un artiste sur les traces de l’Histoire », Le Télégramme, 12/08/2005)7.



La Batterie Annexe du Bas-Grognon à proximité du Fort du Haut-Grognon
Avant la reddition des troupes allemandes, l’Île de Groix connaît donc un isolement qui se renforce après le débarquement en Normandie et la création de la poche de Lorient. L’Île de Groix est en effet intégrée au dispositif dont les Allemands pensent qu’il contribuera à poursuivre la guerre sous-marine. D’ailleurs, deux mois après le débarquement, « la ligne de résistance devant Lorient a été […] considérablement étendue. Elle est passée de 25 km en janvier à 65 km, englobant désormais plus de 25 communes et près de 10 000 civils. Ce nouveau tracé permet surtout l’aménagement d’un vaste no man’s land en avant de la forteresse » (Simonnet, 2015 : 217). Avec la batterie du Bégo (voir l’article en ces pages consacré au site du Bégo), à l’entrée de la presqu’île de Quiberon, la batterie installée sur l’Île de Groix est « articulée autour de quatre canons de 203 mm abrités dans deux tourelles doubles » et empêche « toute navigation entre les Glénan et Belle-Île » (op. cit. : 218).
« Plus de 9 000 civils sont restés à l’intérieur de la poche au moment de sa fermeture. 5 200 personnes vivent encore à Quiberon, 3 200 à Belle-Île, enfin, 2 100 civils cohabitent avec 750 Allemands sur l’Île de Groix » (op. cit. : 225).
Renaissances
Une filière d’évasion de la poche de Lorient fut organisée en 1944. Y étaient associés des Groisillons. Lors des combats de la poche de Lorient, « 600 Allemands bousculent les avant-postes français déjà très éprouvés par le pilonnage de l’artillerie ennemie » (op. cit. : p. 234). Si l’Île de Groix a été épargnée par les bombardements depuis 1940, en revanche, le 4 septembre 1944, les Allemands détruisent 21 maisons de l’un de ses 17 villages, Moustéro, après en avoir fait évacuer les habitants. Aujourd’hui encore, les raisons de ces destructions sont ignorées.
Le 26 février 1945, 95 Groisillons quittent l‘Île pour être accueillis dans différentes communes du continent. Ceux qui restent connaissent d’importantes privations. Et si les Allemands mais aussi, de leur côté, les Alliés, avaient envisagé l’évacuation de l’ensemble de la population, ils en abandonnent l’idée car celle-ci est jugée trop difficile à mettre en place. « Le 9 Mai, le Lieutenant de Vaisseau JAN reçoit l’ordre du Commandant de l’Arrondissement Maritime de Lorient, d’occuper l’île de Groix et de recevoir la reddition des troupes allemandes demeurées sur l’île. 11 officiers, 559 sous-officiers et hommes de troupe seront faits prisonniers ». Pour plus d’informations, voir les informations à ce sujet sur ce site.
La veille, « Le Recteur de Groix écrit dans le Livre de Paroisse : “Quelle explosion de joie ! Aussitôt les drapeaux sont hissés aux fenêtres et les cloches sonnent à toute volée à 10 heures du matin”. »8 La fin de la poche est actée le 10 mai 1945.
« La reddition des 700 soldats allemands de l’Île de Groix a lieu le 11 mai. Lorsque Jan et ses hommes débarquent à Port-Tudy, le petit port est déjà pavoisé et des marins français, à qui les Allemands viennent de rendre leur liberté, sont déjà au garde-à-vous pour accueillir les libérateurs » (Simonnet, 2015 : 238).
Entre la fin de la guerre et la période contemporaine, l’Île a forcément profondément changé. Pour une large part, ce changement est à relier avec l’évolution du secteur de la pêche. Le déclin de l’activité des thoniers était déjà amorcé dans l’entre-deux-guerres mais il n’a cessé de s’accentuer par la suite. En 1914, 300 navires et cinq conserveries étaient comptabilisés sur l’Île. Progressivement, les conserveries ont fermé et les dundees – bateaux à voiles dotés de deux mâts – sont remplacés par des navires à moteur. L’industrialisation de la pêche est en marche, d’imposants navires disposant d’espaces de congélation embarquent désormais les marins pour des séjours de deux mois, par exemple au large des côtes africaines. Pour témoigner de cette activité aujourd’hui disparue, un thonier à voile, le Biche, organise actuellement des excursions depuis Lorient. Construit en 1934, ce voilier a pêché jusqu’en 1956 puis il a été vendu à différents propriétaires. C’est en 1979 qu’un Groisillon – Dominique Duviard, président de l’association Groix Vie et Tradition – retrouve une première fois sa trace et fait en sorte que son propriétaire puisse le revoir. En 1991, le bateau est acheté par le musée du bateau de Douarnenez. Plusieurs années plus tard, une association est créée – « Les Amis de Biche » – pour assurer sa restauration et le remettre à l’eau (2012).
L’histoire de ce navire est symptomatique de la profonde transformation des activités de l’Île, comparable à celle de beaucoup d’autres lieux. Auparavant indispensable à la vie d’une communauté dont elle était le cœur névralgique, la pêche au thon a non seulement disparu du tissu économique mais ses traces se sont elles aussi estompées. Hormis le témoignage qu’en livre le thon qui siège sur le toit de l’église ou bien les stèles érigées à la mémoire des marins, sans la patrimonialisation d’un de ses anciens navires, la matérialisation physique de son souvenir serait bien ténue. Ce sont les bateaux de plaisance qui remplacent désormais les thoniers quand bien même des navires de pêche mouillent-ils toujours dans le port et que l’activité du secteur est valorisée. Pour autant, la physionomie de l’Île se redessine au gré de l’activité touristique, tant au niveau de l’habitat qu’au regard des activités économiques.
Le passé revisité
Parmi les activités touristiques de l’Île de Groix, une auberge de jeunesse propose une formule suffisamment singulière pour qu’on s’y attarde. Installée au Fort du Méné ou Fort Mélite9, l’auberge occupe notamment des constructions dont l’histoire mêle plusieurs périodes. C’est en effet au début du XXe siècle (1901) que l’Armée française a construit cette batterie militaire pour y stocker des munitions. Comme ils l’ont fait en de nombreux lieux, les Allemands l’ont ensuite adaptée à leur propre usage, en ajoutant des rampes d’accès pour faciliter les déplacements et en surélevant certaines des constructions pour y installer des canons.
« La batterie du Méné seule position de côte en 1940 à être en activité va être occupée très vite par les Allemands. En 1941, les pièces de 120 mm Mle 1878 sont démontées et le site est occupé par quelques soldats. Il faut attendre l’année 1942 et l’arrivée de la Kriegsmarine pour que la batterie reprenne du service. Occupée dans un premier temps par le détachement 4a./Ma.Fl.A.708 avec trois matériels de 4 cm Flak 28, elle est relevée par la 5./Ma.Fl.A.708. Cette dernière unité aligne un armement identique qui prend place à la fois sur l’avant de l’ex-batterie française (deux pièces) et dans un alvéole (une pièce). Un mirador est aussi installé pour assurer la veille côtière au large. La troupe réoccupe et loge dans les anciennes constructions françaises et les soutes à munitions sont réemployées pour le stockage. Sur le site, codé Wn. Gx 325, un important réseau de tranchées est creusé puis complété par une ceinture de mines et de barbelés » (Chazette, Tomine, 2011 : 30).
Après la guerre, le site est réhabilité en auberge de jeunesse. Association départementale dans les premiers temps, l’auberge a rejoint un réseau national en 1956. Elle fait désormais partie du réseau d’auberges intégrées à la Fédération unie des auberges de jeunesse (FUAJ), elle-même partie prenante des établissements de l’Hostellering International (HI). Dans un article de Ouest France (« Un lieu insolite en pleine nature pour les vacances », 10/05/2022), Hélène Veillon, directrice de l’Auberge de Jeunesse de Groix, explique que celle-ci est ouverte entre le mois d’avril et les vacances de la Toussaint et qu’elle accueille ponctuellement des groupes pendant l’hiver. Cumulant 9 000 nuitées, elle accueille jusqu’à 200 personnes par nuit dont 33 dans les dortoirs installés dans les anciennes soutes à munition. L’auberge attire des visiteurs très divers, séduits par l’environnement naturel et la singularité des lieux. J’ai rencontré Hélène Veillon le samedi 19 avril 2025. Elle m’a présenté l’histoire et la disposition de ce lieu, s’attachant aussi aux fresques contemporaines que l’on peut y découvrir.

Au début de l’accueil du public sur le site, les toits des bunkers étaient végétalisés. On pouvait y planter des tentes à un moment où les bunkers n’étaient pas encore aménagés. Les pièces qui deviendront plus tard des dortoirs comportaient des étagères massives pour stocker les munitions ; elles étaient dépourvues de portes, celles-ci ayant été démontées à l’instar de la grande majorité de celles qui équipaient les bunkers du Mur de l’Atlantique. L’enfilade d’espaces de stockage et d’alvéoles pour canons était agencée de telle sorte qu’il a été possible d’installer des dortoirs dans les premiers tandis que des terrasses étaient aménagées dans les secondes10. L’ensemble offre un lieu insolite, habillé de surcroît de fresques murales, fatiguées pour certaines bien qu’attrayantes.


En 1995, un artiste allemand, fidèle habitué des lieux depuis le milieu des années 1970, entreprend de peindre les façades des blockhaus et des alvéoles. Hans von Döhren, lino-graveur, est né en 1948. L’un des bâtiments qu’il peint est dédié à Port-Tudy, là où accostent les bateaux. Hélène Veillon explique que cette création est parfaitement caractéristique du style de l’artiste. Un style qu’il a complété par d’autres inspirations au fur et à mesure des années. Par exemple, Hans von Döhren a pour idée de dédier chaque espace mural à un artiste français : Payot, Matisse, Eiffel et Saint-Exupéry. En outre, une partie de son travail est le fruit de sa rencontre avec Yann Couvin, dessinateur de BD à Paris, à qui il propose de s’associer au projet. Enfin, les fresques sont aussi une entreprise familiale, les enfants de l’artiste – Lena, Peer et Jorn – participant à l’entretien des fresques murales qui se détériorent avec le temps et la météo. Dans un article paru dans Le Télégramme (« Dormir à l’ombre d’un bunker sur l’Île de Groix », 05/08/2020), son travail est ainsi distingué :
« Il a peint les murs extérieurs de tous les blockhaus en retraçant l’Histoire des Groisillons, mêlant culture traditionnelle bretonne et son style si particulier. Des fresques de toutes les couleurs qui marquent tous les visiteurs, habitués ou de passage ».
Une des fresques comporte un thon stylisé semblable à celui que l’on pourrait trouver sur le couvercle d’une boite de conserve. D’ailleurs, tracé sur un aplat orange, il est accompagné de la phrase « Thon extra à l’huile d’olive ».

D’autres représentent la carte de l’Île, des femmes habillées en costume traditionnel qui entonnent une ronde, certains endroits emblématiques de Groix tels le Trou de l’Enfer ou Pen Men. Sur un blog qui n’est plus actif depuis 2019 et dont l’auteur, Hans (Hans von Döhren donc), se décrit comme écrivain intéressé par l’art –, un article posté le 6 janvier 2013, rédigé dans une langue mâtinée d’anglais, d’allemand et de français, raconte le cheminement de la fresque sur laquelle des femmes bretonnes se tiennent la main. Hans raconte qu’après avoir écarté l’idée de faire l’histoire du fort de Méné sur les murs des bunkers, le tableau La Danse (1909) de Matisse lui paraissait être une inspiration pertinente. Dans celui-ci, des femmes nues forment une ronde. Mais la directrice de l’auberge de l’époque (1995), Viviane, soucieuse de ne pas choquer les habitants de l’île a demandé à l’artiste d’habiller ses personnages. Dans un premier temps, l’artiste a revêtu les danseuses de coiffes et de vêtements bretons – s’inspirant en cela d’une peinture de Gauguin « La danse des quatre Bretonnes » (1886) – mais transparents pour, dans un second et sous la pression, les habiller d’un costume traditionnel. Sur le blog, chaque étape de la création a fait l’objet d’une aquarelle que l’artiste a mise en ligne. L’ensemble est particulièrement intéressant car il permet de comprendre le processus créatif en contexte contraint.



Sur cette même page de blog, il est aussi question d’un certain Alain qui a blanchi les différents bunkers avant que l’artiste ne s’attèle à la création. Enfin, les aquarelles témoignent aussi du fort tel qu’il était en 1995, les toits végétalisés étant apparents. D’ailleurs, Alain – dont on comprend qu’il travaillait à l’auberge – est le personnage central d’une bande dessinée peinte sur des murs. On le découvre pêcheur sur des thoniers et on comprend par un encart qui lui est consacré sur un des murs peints qu’il est né en 1934 et décédé… en 2012. Hans von Döhren lui rend ici hommage, fixant sur une surface d’un bunker la vie de celui qui l’a peinte.


Ailleurs, on découvre des chats qui, pour certains – dont Garfield et Felix –, sont célèbres dans l’univers de la BD ou du dessin animé. Probablement sont-ils un clin d’œil à l’un des sites très fréquentés de Groix : la Pointe du Chat. On retrouve aussi des personnages de la culture populaire tels Astérix et Obélix et leurs acolytes ainsi que des compositions abstraites ou un « cherche et trouve » dont la thématique est marine.




Conclusion
Charmé par les paysages et la lumière de l’Île de Groix, Hans von Döhren confie à Ouest France (« Hans von Döhren, un artiste berlinois ancré à Groix », 14/09/2021) :
« J’ai découvert Groix à la lumière, dit-il avant d’ajouter : Ici, la lumière change tout le temps. Il y a toujours quelque chose qui te touche, quelque chose que tu ne contrôles pas. Tu comprends seulement après avoir fait l’esquisse. »
L’intérêt de l’artiste pour l’Île et, plus largement, pour la culture française se perçoit dans ses fresques. Cet intérêt irrigue une démarche artistique et ludique qui égaie des murs austères, témoins des guerres et crises de l’histoire. Mais comme l’air marin et l’humidité attaquent les parois, l’artiste et ses proches sont contraints de reprendre régulièrement pinceaux et peinture pour rehausser les couleurs ou masquer la mousse brunâtre qui se dépose sur les fresques. Ainsi les fresques renaissent-elles au gré des visites estivales de leurs auteurs, les nouvelles créations ou la réfection des anciennes se faisant selon les séjours des artistes en ce lieu. Au-delà du fait qu’elles siègent sur des bâtiments historiques, elles sont un des liens qui unissent l’artiste, les Groisillons et l’auberge, et dont Hélène Veillon témoigne par sa présence et son expérience.
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Podcast
- Engagée dans cette activité depuis le début du XVIIIe siècle, l’Île d’Yeu a servi de modèle à l’Île de Ré dans les années 1850, puis à Groix et aux Sables-d’Olonne ensuite.
- Salomé, Karine, 1915. Les îles bretonnes. Une image en construction (1750-1914). Rennes,
Presses universitaires de Rennes. - Delaigues, Emmanuelle et Ronné Hervé, 2020. Le Mur de l’Atlantique en Bretagne. Bunkers et lieux de mémoire 39-45. Rennes : Éd. Ouest France, p. 110.
- Andersen Bo, Patrick, 1994. Le Mur de l’Atlantique en Bretagne 1944-1994. Rennes, Éd. Ouest France, p. 80.
- Fichou, Jean-Christophe, 2008. « La pêche maritime en Bretagne pendant l'occupation. Libertés ou interdictions d'activité ? », Guerres mondiales et conflits contemporains, 1/229, p. 121-138.
- Jean-Christophe Fichou, 2009. « Les pêcheurs bretons et les relations avec la Grande-Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale ». Guerres mondiales et conflits contemporains, 2/234, p. 63-75.
- Dans leur ouvrage, Alain Chazette et Jacques Tomine (2011 : 8), À la découverte des fortifications de l’île de Groix. Spécial Randonnées (Vertou : Éd. Histoire et fortifications), expliquent : « En 1942, la Kriegsmarine (1./Ma.Fl.A.807) occupe la batterie annexe du Bas-Grognon avec deux pièces de 3,7 cm Flak et un projecteur de 60 cm (installé au fort du Bas-Grognon). En 1943, cette unité est relevée par la batterie 4./Ma.Fl.A.708 formée de trois pièces de 4 cm Flak 28 Bofors réparties dans deux des ex-emplacements de 95 mm de la batterie annexe de Tréhor alors que la troisième prend place à l’air libre en avant de la batterie, à laquelle s’ajoute un projecteur de 60 cm. Enfin à l’été 1943, la batterie 1a./Ma.Fl.A.708 s’installe sur place avec un armement similaire constitué de trois matériels de 4 cm Flak 28 et d’un projecteur de 60 cm ».
- Cette mention figure dans le site Anita, de Groix [https://ile-de-groix.info/blog/] qui, dans un article consacré à « La libération de Groix », fait référence à la recherche de Jo Le Port et Régis Leclercq qui s’intéressent aux années de guerre sur cette Île.
- Avant la Seconde Guerre mondiale, le Fort du Méné ou Fort Mélite était le seul de l’Île encore armé. Pour en savoir plus, voir le livre d’Alain Chazette et Jacques Tomine, 2011. À la découverte des fortifications de l’île de Groix. Spécial Randonnées. Vertou : Éd. Histoire et fortifications.
- Dans leur ouvrage, Alain Chazette et Jacques Tomine (2011 : 13) précisent la nature de l’armement de cette enfilade d’alvéoles « pour canons de 240 mm Mle 1876 remplacés par les pièces de 120 mm ».
