
La Bretagne, entre histoire et mémoire
Les départements qui composent la région Bretagne sont les Côtes-d’Armor, le Finistère, l’Ille-et-Vilaine et le Morbihan. C’est à ce découpage administratif que nous faisons ici référence, quand bien même, dans divers ouvrages traitant du Mur de l’Atlantique en Bretagne, les constructions de la Loire-Atlantique sont-elles référencées1. Au début de l’occupation allemande, la Loire-Atlantique – ou Loire-Inférieure jusqu’en 1957 – était effectivement un département à part entière de la Bretagne historique. Mais le gouvernement de Vichy, par la loi du 19 avril 1941, a intégré la Loire-Inférieure à la préfecture de région d’Angers et non de Rennes qui correspondrait à l’actuelle région Bretagne.
Lors du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, beaucoup pensaient que, comme cela s’était passé pour la Première Guerre, la Bretagne et plus largement les régions de l’ouest seraient épargnées. Le gouvernement français a donc planifié l’évacuation des populations résidant dans des zones susceptibles d’être plus violemment touchées par les combats. Celles de l’est ou de la Région parisienne furent ainsi invitées à se replier en Bretagne [voir l’article en ces pages consacré aux Pays de la Loire, « Les Pays de la Loire et les traces de la Seconde Guerre mondiale »]. Ainsi la région connaît-elle un important brassage de populations : une première vague de réfugiés s’installe en ce territoire en septembre 1939 ; une seconde, en mai 19412. Mais, dès le mois d’août 1940, beaucoup de réfugiés rentrent chez eux ou se dirigent vers d’autres zones, considérées comme étant plus sûres. L’exemple du Morbihan est caractéristique de ce mouvement. En effet, dans ce département, et comme on peut le lire sur la Fresque de l’INA consacrée à « La Bretagne dans la guerre », les historiens Fabien Lostec et François Lambert font cette estimation : « 150 000 à la mi-juillet 1940, le nombre de réfugiés dans le Morbihan n’est plus que de 7 200 à la fin du mois de septembre ».
Avant même la signature de la convention d’armistice (le 22 juin 1940) en forêt de Compiègne, les Allemands se sont installés dans de nombreuses villes dont Paris le 14 juin. La guerre éclair a commencé le 10 mai et en six semaines, les Allemands occupent de nombreux territoires. Fabien Lostec et François Lambert le précisent : « Le 17 juin 1940, la Wehrmacht pénètre en Bretagne par la ville de Fougères. Le 18, elle est à Rennes, le lendemain à Brest ». Des milliers de Bretons mobilisés sont alors faits prisonniers, les historiens évaluant leur nombre à 137 000. Dans cette région, l’un de leurs objectifs étant de faire plier les Anglais, les troupes allemandes s’emparent du littoral avec l’intention de le fortifier afin, notamment, de faire couler les navires qui ravitaillent l’Angleterre. Et comme c’est le cas dans les autres régions côtières, la création d’une bande longeant le littoral est déclarée interdite. Du fait de sa configuration, le territoire breton a pour particularité de voir se succéder de nombreuses communes entre Saint-Malo et Saint-Nazaire (si l’on s’en tient au découpage administratif des premiers mois de l’occupation) et dont les ports, précisément de cette dernière, ainsi que de Lorient et de Brest constituent des places fortes du dispositif d’attaque et de défense allemand. Ainsi la région est-elle fortement touchée par la présence allemande, mais aussi par l’offensive alliée qui, dès 1940, s’emploie à fragiliser les troupes d’occupation de cette zone, hautement stratégique pour les deux camps.
Longer aujourd’hui les côtes bretonnes en suivant les chemins côtiers fait découvrir ici et là, de nombreuses constructions de la Seconde Guerre mondiale qui sont enchevêtrées à des forts du XIXe siècle. Faisant partie du paysage et du substrat architectural, ces constructions témoignent, entre autres caractéristiques, de l’opportunisme des occupants qui ont profité de la présence des fortifications antérieures pour assoir leur propre défense. Parmi de très nombreux autres exemples, les sites du Minou et du Conquet, dans le Finistère, en témoignent.
Les site du Minou à Plouzané, près de Brest




Le Conquet et le Fort du Kermovan




De l'occupation à la Libération
Emmanuelle Delaigues et Hervé Ronné estiment que plus de 3 000 constructions composent le Mur de l’Atlantique entre Cancale et Pornic (Loire-Atlantique). Ce chiffre correspond à ¼ environ de la totalité du dispositif de défense entre la Norvège et l’Espagne. Faisant face à l’Angleterre, le littoral est l’objet d’attentions de la part des Allemands qui, de là, surveillent l’ennemi. Il intéresse évidemment aussi les Alliés qui, étudiant de près les tactiques de l’adversaire, évaluent entre autres objectifs l’opportunité de s’y introduire pour pénétrer le continent.
La Cité d'Alet à Saint-Malo




Le Cap Fréhel





Sur les 60 kilomètres de fortifications que comporte le département d’Ille-et-Vilaine, 600 ont été répertoriées, dont un point fort est la cité d’Aleth ; dans les Côtes-d’Armor, sur les 350 km de côte, ce sont 300 à 400 constructions qui ont été recensées. Parmi elles, deux sont remarquées par Emmanuelle Delaigues et Hervé Ronné : la batterie d’artillerie de Plounez ou la station radar du cap Fréhel. Dans le Finistère, sur 300 km de côtes, 400 ouvrages ont été construits, la ville de Brest en comptant 160 à elle seule. Et dans le Morbihan, les 550 ouvrages recensés « assuraient la défense de la forteresse de Lorient » (Delaigues, Ronné, 2020 : 95) où Fritz Todt s’était rendu en novembre 1940 pour organiser le programme de constructions des trois bases de sous-marins en Bretagne. Patrick Andersen Bo (1994 : 9) explique pour sa part que :
« L’ordre d’urgence des zones à fortifier était : les bases sous-marines de Brest, Lorient et Saint-Nazaire, indispensables à la lutte contre les convois alliés, les grands ports, les îles et les portions de côtes favorables à une opération amphibie de grande envergure ».
Il décrit aussi de quelle manière la densité et la nature des constructions ont été ajustées à la topographie des zones concernées :
« Les ports de moindre importance, comme Audierne, Cancale, Douarnenez ou Concarneau, furent défendus par de solides points d’appui. Les golfes, les embouchures comme les abers Wrach et Benoît se transformèrent en véritables forteresses. Les îles bretonnes eurent droit à leur part de béton, comme Belle-Île, Ouessant, l’île de Batz et Raguenes. Les côtes rocheuses furent pauvres en fortifications car elles ne se prêtaient pas à une opération de grande envergure. En arrière de ce “mur”, on trouve quelques batteries de l’armée de terre et des points d’appui (composés d’armes antichars et d’armes automatiques) ainsi que toute la logistique indispensable à son bon fonctionnement : dépôts de munitions, centrales téléphoniques, postes de commandement, hôpitaux, etc. » (Andersen Bo, 1994 : 9).
Mais les fortifications ont aussi été aménagées pour tenir compte des bombardements alliés. À Brest par exemple, en 1941 et 1942, les Allemands creusèrent des abris souterrains, dont un de 560 mètres de long en centre-ville, l’abri Sadi-Carnot. En 1944, une partie de celui-ci sert d’abri aux populations civiles qui n’ont pas fui Brest, l’autre aux Allemands. Mais un drame survient dans la nuit du 8 au 9 septembre 1944, du fait de l’explosion des caisses de munition entreposées dans l’espace occupé par les Français et qui se trouvaient à proximité des bidons d’essence. Une étincelle suffit alors à embraser le tunnel où 371 Français et 500 à 600 Allemands trouvent la mort. Aujourd’hui encore, on ne connaît pas la raison pour laquelle une étincelle a enflammé l’abri . Plusieurs hypothèses sont avancées dont celle mettant en cause la mauvaise manœuvre qu’aurait produite un soldat allemand chargé de l’utilisation du groupe électrogène. Aujourd’hui ouvert à la visite, le site – aménagé selon un style sobre et dépouillé – comporte plusieurs créations artistiques qui rendent hommage aux victimes de l’explosion. Pour en savoir plus, voir par exemple le reportage diffusé sur France 3, le 10 août 2018 et accessible sur YouTube.
Dès 1941, des stations radars chargées d’assurer la surveillance sont également construites, dont celles du Cap Fréhel, en Bretagne Nord, où l’on peut voir le radar Fumo Caesar qui « surveillait la navigation en Manche jusqu’aux côtes anglaises » :
Face à cette occupation dont les maillages humains – 120 000 à 130 000 militaires allemands auraient stationné en Bretagne – et techniques sont très denses, que peut-on dire de la résistance en Bretagne ? Dans son ouvrage, La Bretagne dans la guerre 1938-19453, Jacqueline Sainclivier décrit une situation contrastée qui commence par une résistance a-organisationnelle, c’est-à-dire spontanée et impulsive, nourrie par un sentiment de colère. Progressivement, celle-ci se transforme en une résistance pré-organisationnelle qui a pour particularité de se nourrir d’une dimension collective. Évoquant justement un nombre important de mouvements et de réseaux, Jacqueline Sainclivier mentionne toutefois un faible nombre de participants (1 à 2% de la population adulte) et une pluralité de stratégies mises en œuvre dans ce cadre. Elle note également une moindre représentation des agriculteurs et évoque une résistance plutôt urbaine. À ceci s’ajoute une autre caractéristique, soulignée par Christian Bougeard (2014) : un nombre important de Bretons rejoint l’Angleterre pour grossir les rangs de la France libre, particulièrement depuis le Finistère. Selon ce dernier, le rapport serait de cinq à un par rapport à la moyenne nationale. Fabien Lostec et François Lambert précisent pour leur part le rôle important des communistes dans la mise en œuvre de la résistance :
Mais c’est en 1943 que la résistance prend son envol tant par sa structuration que par les contacts avec la France libre. Progressivement, des groupes armés se forment. Parmi les exemples dont ils traitent, Fabien Lostec et François Lambert expliquent que, pour la Bretagne, l’Armée secrète est plus particulièrement positionnée dans le Morbihan. Ils mentionnent aussi la présence de nombreux étrangers dont les Espagnols qui ont trouvé réfuge en Bretagne avant la guerre et y sont restés.
Les deux historiens traitent aussi des partis créés sous l’occupation ainsi que des organismes collaborationnistes. Faisant le bilan de ce que recouvre, en chiffres, la collaboration, ils précisent qu’elle correspond à « un pourcentage inférieur à 0,20 % de la population régionale ». Toutefois, ils ajoutent que « La prise en compte des dénonciateurs, des collaborateurs économiques et des collaboratrices sentimentales ferait à coup sûr augmenter dans des proportions loin d’être anecdotiques ce pourcentage ».
À ce rapide tour d’horizon, ajoutons l’impact des bombardements par les Alliés de villes comme Saint-Malo (1942), Rennes avec ses infrastructures ferroviaires et installations militaires (1943), Lorient, Saint-Nazaire, Nantes (1943 pour ces trois villes) :
En ce qui concerne la Libération de la Bretagne, celle-ci diffère d’une zone à une autre. Le 8e Corps d’armée, qui appartient à la Troisième armée américaine du général Patton, a pour charge la libération des ports bretons. L’objectif est de pouvoir y acheminer les hommes et le matériel nécessaires à la poursuite de l’offensive. Saint-Malo est donc libérée en août 1944 après plusieurs semaines de combats. Preuve de la violence des combats, le sort réservé à l’Île de Cézembre qui fait face à Saint-Malo. Fortifiée par les Allemands à partir de 1942, le site a fait l’objet de combats d’une très forte intensité. Si aujourd’hui, on peut le visiter, c’est seulement en suivant un parcours balisé pour éviter tout risque d’explosion des obus qui s’y trouvent toujours.
Le port et la ville de Brest ont pour leur part été libérés après une bataille particulièrement violente qui s’est terminée par la reddition des troupes allemandes le 19 septembre 1944. D’ailleurs, les affrontements y furent si coûteux que le commandement allié décida de privilégier pour la suite des opérations l’encerclement des autres ports occupés, dont celui de Lorient. La capitulation de celui-ci – où 25 000 soldats allemands s’étaient retranchés – ne fut actée que deux jours après celle du IIIe Reich, en l’occurrence le 10 mai 1945.
Vivre avec, vivre sans
En Bretagne comme ailleurs, c’est dans les années 2000 que les blockhaus, bunkers ou casemates acquièrent une visibilité plus forte que cela n’était le cas auparavant. Ce qui ne signifie pas pour autant la disparition de toutes les tensions. En effet, le sujet peut s’avérer conflictuel, notamment à la faveur de projets de démolitions. En 2004, lors des travaux d’aménagement d’un nouvel hôpital à Lorient, la destruction de trois blockhaus – dont l’un comportant la chambre du médecin du Grand Amiral Karl Dönitz (1881-1980) – fait l’objet de débats. Un an plus tard, deux des trois constructions sont néanmoins démolies, la logique opérationnelle ayant prévalu sur celle patrimoniale.
De cette date jusqu’à la période contemporaine, la guerre s’impose plusieurs fois dans la sphère publique avec – notamment – son lot de découvertes potentiellement dangereuses. Une centaine d’obus sont par exemple retrouvés sous un blockhaus de la plage de Locmariaquer, dans le Morbihan, en janvier 2014. Une décennie plus tard, c’est du pétrole stocké dans un blockhaus de la Pointe du Raz dont il est question. Le pétrole est celui du tanker Le Boehlen, échoué en 1976, et dont une partie de la cargaison collectée sur les plages a été enfouie dans divers sites de plusieurs communes du Finistère. Le fait que, dans les années 1970 et 1980, les pouvoirs publics aient fait le choix de stocker ces déchets dans des ouvrages de la Seconde Guerre mondiale, atteste du peu de considérations dont ils sont alors parés. Et c’est d’ailleurs parce qu’une association engagée dans des actions patrimoniales, l’Association de sauvetage du patrimoine historique (ASPH) du Men-Tan, s’est inquiétée de savoir ce qu’il en était de ce site que l’affaire a surgi dans l’espace public. Étrangement, en janvier 2025, l’affaire s’est conclue par la fermeture du site, la mairie ayant pourtant statué sur la non-dangerosité de ce pétrole de cinquante ans d’âge.
Hormis ces faits saillants, un balayage de la presse régionale entre 2010 et aujourd’hui met en évidence la diversité des actions de valorisation des édifices de la Seconde Guerre mondiale. Des conférences à leur sujet sont organisées, des personnes venant par exemple témoigner de leur expérience de la guerre et de leur connaissance du monde militaire. Le lecteur de cette presse peut suivre l’émergence de perspectives patrimoniales mais aussi des difficultés rencontrées. Il y fait aussi la connaissance de personnalités engagées qui, à un moment de leur vie, ont croisé ces édifices et en ont fait un mode de vie, plus qu’un hobby. À Plouharnel, dans le Morbihan, Ouest France (03/06/2004) donne la parole à Charles Kerino qui avait 17 ans à la libération et qui a grimpé, comme beaucoup d’autres, sur la batterie du Bégo dont il se plait depuis à faire l’inventaire lors de conférences. Il n’est que l’un des nombreux portraits de passionnés, croqués dans les colonnes des journaux, parfois avec une pointe d’humour. Dans un article du Télégramme (« Certains aiment les timbres, la chasse ou la lecture », 31/12/2010), le journaliste Dominique Morvant – natif du Finistère – écrit :
« Certains aiment les timbres, la chasse ou la lecture. Eux, ce sont les blockhaus ! Si les bunkers allemands ne sont pas ce que l’architecture a fait de plus remarquable, Yannig Kerhousse et ses amis leur vouent une véritable passion. Ils ont même créé une association pour en faire l’inventaire : le Groupe d’études et de recherches des fortifications allemandes et des unités sur le terrain (Gerfaut). Rien que ça ! ».
En plus de la réalisation d’un inventaire, les membres de l’association s’attachent en effet aux hommes qui ont séjourné dans les constructions, l’examen des archives leur permettant de repérer des noms dont ils suivent ensuite la trace en Allemagne.
Sur le site du Bégo, des reconstitutions sont également organisées, avec un rassemblement de véhicules, matériels, uniformes qui attire beaucoup de visiteurs. Pour les organisateurs :
« C’est tout sauf du folklore et aucun anachronisme n’est toléré. “On a un cahier des charges, explique Gildas Gouarin, vice-président de LBMG. Il s’agit d’un camp allié, donc il n’y a pas de forces de l’Axe. On accepte un véhicule allemand à la condition qu’il soit dénazifié. Avec, par exemple, un drapeau français et des FFI à l’intérieur” » (Le Télégramme, « Plouharnel. Plongée au cœur d’un camp allié de 39-45 », 11/05/2013).
La batterie de Plouharnel ou du Bégo



Si les dates commémoratives sont un moment fort de ces rencontres, les Journées du Patrimoine le sont aussi. À chaque fois, le succès est au rendez-vous, de longues files d’attente de visiteurs se formant à l’entrée des lieux.
Hormis cette curiosité et cet intérêt pour le Mur de l’Atlantique, on rencontre des formes de détournement des blockhaus et bunkers à des fins muséales, culturelles et/ou commerciales. Assez logiquement, plusieurs lieux sont dédiés à la Seconde Guerre mondiale tels le Musée mémorial international de la Bataille de l’Atlantique de Pen Hir à Camaret-sur-Mer qui est installé dans un blockhaus de la Batterie de Kerborn, ou bien le Musée Mémoires 39-45 qui siège depuis 2015 près de la pointe Saint Mathieu, dans un ancien blockhaus de commandement. Toujours dans le registre muséal mais selon une démarche qui relève de l’uchronie, un blockhaus situé à l’entrée de la presqu’Île de Quiberon abrite un musée dont le sujet est éloigné de l’occupation allemande. Justifiant d’une certaine façon son emplacement, le Musée de la Chouannerie, de la Vendée et des Guerres de l’Ouest présente sur sa page d’accueil quelle filiation le rattache à ce lieu :



Sur l’Île de Groix, c’est l’Auberge de jeunesse HI Île-de-Groix qui s’est installée dans la batterie du Fort du Mene, elle-même construite entre 1901 et 1903. Dans ces lieux, le passé s’entremêle au présent, certains bâtiments étant recouverts de fresques murales contemporaines qui adoucissent la rudesse de certains pans de mur.


Ailleurs, des blockhaus accueillent des projets artistiques ou font l’objet d’une réflexion de cet ordre. Par exemple, en octobre 2017, le ville de Rennes et l’École nationale supérieure d’architecture de Bretagne (Ensab) ont récompensé les meilleurs projets de fin d’études. Parmi ceux qui ont été retenus, l’un porte sur la reconversion d’une construction militaire, située à Lorient.
« Avec leur projet “Quai 4”, Quentin Clermont et Thibault Drean se sont intéressés à l’une des rares parcelles qui ne soit pas encore transformée, entre le port de pêche et le dernier bunker, le K4. Le long du quai, ils ont imaginé développer un programme mixte avec une promenade, un musée, un hôtel, un hangar pour la course au large et un lycée maritime. Pour faire face aux blocs de béton de la base, les architectes ont opté pour des bâtiments compacts et monolithes en béton fibré » (« Rennes récompense ses jeunes talents en architecture », Le Moniteur.fr, 20/10/2017).
Plus étonnant encore, un agriculteur a transformé, en 2017, un blockhaus découvert par hasard sur sa propriété (à Tréméreuc dans les Côtes d’Armor), en lieu de stockage pour des légumes et de plantation pour des pleurottes. À Dinard, route de la Ville-es-Passant, le Breizh Escape offre un parcours ludique dans un blockhaus sans avoir pour autant totalement renoncé à l’histoire du lieu. Dans la presqu’Île du Crozon, une brasserie artisanale – la Brasserie du bout du monde – est installée dans d’anciens tunnels de l’OTAN qui, pendant 30 ans, y stockait des munitions. Démilitarisée dans les années 2000, le lieu est à la fois un site de fabrication, de stockage mais aussi de visite. Voir le site de l’entreprise.
On peut aussi séjourner dans un blockhaus à Paimpol (Côtes-d’Armor), ou dans un autre à Saint-Pabu (Finistère). Les propriétaires de l’une et l’autre constructions expliquent dans la presse régionale leur intérêt pour l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et leur souhait de le faire partager. Chacun redouble d’ingéniosité pour coller au plus près de l’histoire tout en répondant aux exigences d’un lieu dédié au tourisme. Enfin, on peut aussi regarder du côté du développement durable avec ce projet de la société Xsea, à Lorient, qui a posé 10 000 panneaux solaires sur le toit du bunker K2, de la base de sous-marins en 2018 et qui étudie la faisabilité de cette démarche par rapport à d’autres blockhaus. Pour en savoir plus, il est possible de lire l’ouvrage, paru en 2020, d’Emmanuelle Delaigue (et d’Hervé Roné pour les photographies) dont parle ce reportage de France 3 Bretagne, diffusé le 9 juillet 2020 et intitulé Le mur de l’Atlantique en Bretagne : un guide insolite des bunkers et lieux de mémoire.
Conclusion
Si la diversité de ces expériences peut surprendre, elle montre la perspicacité de propriétaires et/ou associations qui, en faisant le choix d’intégrer ces constructions de béton dans leurs projets, se sont singularisés. Souvent, la visite ou la fréquentation des lieux associent une dimension patrimoniale au projet commercial ou culturel. Dans les gites, des précisions sont données sur les pièces occupées, leur disposition, des objets… L’histoire de la Seconde Guerre mondiale n’y est pas anecdotique, elle n’est pas non plus un seul décor. Elle est totalement imbriquée à l’espace de vie. De la sorte, le fait d’avoir conservé une construction de Mur de l’Atlantique est susceptible de devenir une plus-value qui influence le choix des voyageurs et visiteurs.
- C’est le cas notamment dans l’ouvrage d’Emmanuelle Delaigues et Hervé Ronné, 2020. Le Mur de l’Atlantique en Bretagne. Bunkers et lieux de mémoire 39-45. Rennes, Éd. Ouest France ; ou dans celui de Patrick Andersen Bo, 1994. Le Mur de l’Atlantique en Bretagne 1944-1994. Rennes, Éd. Ouest France
- Pour en savoir plus, voir : Bougeard, Christian, 2014. La Bretagne de l’Occupation à la Libération 1940-1945. Rennes, Presses Universitaires de Rennes.
- Sainclivier, Jacqueline, 1994. La Bretagne dans la guerre 1938-1945. Rennes, Éd. Ouest France.
