
La Pointe du Hoc face à l’érosion.
Une guerre perdue d’avance ?
L’érosion du littoral fait partie des préoccupations que doivent gérer de nombreuses communes qui sont conduites à faire des choix pour assurer la sécurité de leurs administrés et visiteurs. Qu’il s’agisse des plages, falaises, infrastructures routières, des logements et des commerces, rares sont les territoires de bord de mer qui échappent aux risques encourus par ce phénomène. Sur le site du ministère de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche, à la page « Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique », des chiffres datant du 17 juillet 2023 indiquent un recul de 19 % du trait de côte correspondant à 920 km et 30 km2 de terre perdue en 50 ans. 5 200 logements et 1 400 locaux d’activité seront touchés à l’horizon 2050. Sur cette même page, sont citées les prévisions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) selon lesquelles, jusqu’en 2 100 et si l’on s’en tient à un scénario optimiste, le niveau de la mer aura monté de 30 à 60 cm par an ; selon un scénario pessimiste, de 60 à 100 cm par an. À la page « Indicateur national de l’érosion côtière », la photo d’illustration est celle d’un ensemble de constructions du Mur de l’Atlantique, échouées sur une plage bordée d’un cordon dunaire. Représenter ainsi l’érosion est immédiatement parlant tant ces constructions sont impactées par l’évolution du trait de côte. Nombreuses sont les photographies des zones côtières qui mettent en scène des bunkers submergés ou ensablés. Par exemple, le site de la presqu’Île de Lège-Cap-Ferret (en Gironde), où une eau turquoise enserre un chapelet de bunkers, est un lieu prisé pour la promenade. Celui de Néville-sur-Mer dans la Manche (voir sur ce site la page dédiée) est un espace de découverte où l’étrangeté de constructions enchevêtrées n’a d’égal que le charme d’un lieu préservé.


Mais l’ensablement ou la chute de ces constructions n’est pas sans risque pour les promeneurs ou les résidents des communes concernées. Si beaucoup de ces bunkers ou blockhaus se sont effondrés seuls d’une falaise ou d’une zone dunaire, d’autres ont été aidés en cela par les municipalités pour éviter qu’un accident ne se produise. Parmi les nombreux exemples de ce type, le blockhaus renversé de Sainte-Marguerite-sur-Mer, en Normandie, offre aux photographes un profil insolite, lui dont un flanc s’est enfoncé à la verticale dans les galets après avoir été poussé de la falaise par des pompiers, en 1994, à la demande de la municipalité.

À l’Île de Ré, sur la Plage de la Conche, ce sont quatre blockhaus qui ont été détruits en 2016 car la municipalité considérait qu’ils accéléraient l’érosion de la dune. Cette décision a provoqué l’indignation de personnes faisant valoir que les constructions ne témoignaient pas seulement de la présence allemande mais aussi du tournage du film Le Jour le plus long (Ken Annakin, Andrew Marton, Bernhard Wicki, Gerd Oswald et Darryl F. Zanuck, 1962) qui avait notamment été réalisé sur cette plage.


L’érosion du littoral et son impact sur le Mur de l’Atlantique est un problème régulièrement soulevé depuis une trentaine d’années. Selon les territoires, il est plus ou moins prégnant. Il l’est plus encore quand les sites concernés sont ouverts au public. C’est le cas des lieux emblématiques de l’histoire du débarquement qui représentent un puissant potentiel économique en même temps qu’un enjeu mémoriel. Dans un article du Nouvel Obs (« 80 ans du Débarquement : la manne du tourisme mémoriel en Normandie », 06/06/2024), l’attractivité économique du tourisme mémoriel est rappelée. C’est Alexandra Derveaux, cheffe du pôle tourisme de mémoire au ministère des Armées, qui l’explique à l’hebdomadaire se fondant pour cela sur une étude du mois de novembre 2023 qui établit que « le secteur génère dans la région [en Normandie] 8 410 emplois directs, indirects et induits ». Ainsi, selon elle, les retombées « économiques générées par le tourisme de mémoire sont essentielles pour les territoires, et constituent, pour certains, le principal levier d’attractivité ».
La Pointe du Hoc fait partie des sites ayant fait l’objet de plusieurs campagnes de travaux sans que pour autant le problème de leur survie ait été résolu. C’est à ce lieu que nous nous intéressons ici, lui au sujet duquel il ne semble plus que la question soit seulement de savoir comment le préserver, mais jusqu’à quand, avec quels effets et en envisageant quelles solutions de remplacement1.
Un site mémoriel aux forts enjeux politiques

Dans Normandie 44, dans le chapitre concernant la Pointe du Hoc et intitulé « L’assaut héroïque de la pointe du Hoc », Jean Quellien (2024 : 95) écrit :
« Cinq à six kilomètres à l’Ouest d’Omaha Beach, à la Pointe du Hoc, eut lieu l’épisode certainement le plus spectaculaire d’une journée pourtant fertile en la matière. Sur un promontoire se dressant à pic trente mètres au-dessus de la mer, les Allemands ont installé une impressionnante batterie de 6 canons de 155 mm, en encuvement ou sous casemate. De leur feu, d’une portée d’une vingtaine de kilomètres, ils peuvent balayer aussi bien le secteur d’assaut d’Utah à l’ouest, que celui d’Omaha, à l’est. Ils représentent ainsi une menace terrible pour les soldats américains. »
Débarquer en ce lieu est une gageure à laquelle la troupe d’élite du 2e bataillon de Rangers (225 hommes), commandée par le lieutenant-colonel James Earl Rudder (1910-1970), s’est longuement préparée sur l’Île de Wight. L’historien raconte l’approche en ce site, « le 6 juin vers six heures du matin » (ibid. : 96). Il évoque les difficultés que les embarcations rencontrent du fait d’une forte houle (plusieurs sombrent dans les flots en faisant d’importantes victimes), puis le constat que l’objectif atteint n’est pas le bon, obligeant les hommes à faire demi-tour. Cette erreur provoque un retard de 40 minutes qui permet aux Allemands de se réorganiser après que les tirs de la marine se soient tus. Une fois sur place et sous la riposte des soldats allemands, les rangers déploient leur matériel d’escalade pour franchir la paroi rocheuse. La scène figure dans le jeu Call of Duty 2 (Infinity Ward, 2005, Activision, réalisé par Jason West). On y voit des soldats arriver en barge depuis le large, être attaqués avant même qu’ils ne posent le pied sur une plage étroite, flanquée d’une immense falaise. Le réalisme de la séquence donne à imaginer la violence qu’ont alors vécue les rangers.
Parvenus en haut de la falaise, les rangers découvrent que les canons dont ils devaient s’emparer ne sont finalement que des leurres en bois. Les Allemands les ont déplacés vers l’intérieur des terres pour les protéger des bombardements qui ont préparé l’offensive au cours des jours et des semaines précédentes, avec une intensification les 4 et 5 juin. Après 8h du matin, le lieutenant-colonel Rudder annonce : « “Ici Rudder, le Hoc est sous contrôle… J’ai besoin de renforts et de munitions… Lourdes pertes…!” On lui répond peu après : “Bon boulot. Désolé pour les renforts, tous les Rangers ont déjà débarqué à Omaha” ». Le retard avec lequel arrive ce message – il était attendu à 7 h – laissait penser que l’opération avait échoué. Comme cela était prévu dans ce cas, les renforts furent envoyés à Omaha Beach. Assiégés par l’armée allemande et isolés, les rangers doivent livrer une bataille difficile, contre un adversaire d’autant plus mobile que ses armes lourdes ont été déplacées et qui vient de l’est comme de l’ouest. Et c’est seulement le 8 janvier 1944 que les chars américains du 116e régiment, avec l’infanterie, peuvent enfin prêter main forte aux seuls 90 hommes encore en état de se battre.
Site classé en 19552, la Pointe du Hoc est une propriété du Conservatoire du Littoral qui a été « léguée [en 1956] aux États-Unis afin d’être maintenue en l’état, au titre d’objet patrimonial, dans le but de garder le souvenir des violents combats menés par le 2e bataillon de Rangers américains »3. Les cratères formés sur le sol par l’explosion des bombes – 380 tonnes de bombes ont été larguées sur le site – sont restaurés. Si en de nombreux autres endroits, les terrains ont été aplanis, invisibilisant de la sorte les traces des événements passés, ici, le choix est fait de laisser le site en l’état. C’est l’American Battle Monuments Commission (ABMC) qui se charge de l’entretien, faisant de ce lieu un mémorial de guerre en même temps qu’un objet « de patrimonialisation, voire de sacralisation »4. Le 11 janvier 1979, autre étape, le site est transféré à cette commission pour son entretien perpétuel.
Un mémorial a été inauguré à l’occasion du 40e anniversaire de cette opération. Érigé face à la mer, à proximité du Bec du Hoc, il rend hommage à ces rangers qui ont fait preuve de courage. Il comporte une sculpture de granit en forme de pointe qui est juchée sur le bunker de direction. La forme particulière de la création représente les dagues utilisées en guise de piolet pour gravir la falaise. Aux pieds de cette pointe, une plaque honore la mémoire « des héroïques commandos de Rangers » qui ont pris d’assaut la Pointe du Hoc « sous le commandement du lieutenant-colonel James E. Rudder ». Le 6 juin 1884, le président américain de l’époque, Ronald Reagan (1911-2004), prononce en cet espace un discours aux accents émouvants – rédigé par Peggy Noonan (née en 1950), alors Speechwriter du président – devant 60 vétérans en pleurs.
« Ce sont les gars de la Pointe du Hoc. Ce sont les hommes qui ont pris les falaises. Ce sont les champions qui ont aidé à libérer un continent. Ce sont les héros qui ont contribué à mettre fin à une guerre »…


En 1994, à l’occasion du cinquantième anniversaire, le président Bill Clinton occupe cette même place. Si, dans son discours, Ronald Reagan avait suggéré un rapprochement avec l’Union soviétique, Bill Clinton évoque pour sa part le devoir de mémoire à l’attention des jeunes générations. Quant à Joe Biden, pour les 80 ans du débarquement, il affirme que « nous sommes les héritiers de ces héros » et évoque les valeurs de la démocratie en déclarant que celle-ci « commence en chacun d’entre nous », ajoutant que « Les Américains sont prêts à faire face à Poutine aujourd’hui, prêts à se mobiliser pour vaincre une nouvelle mauvaise idéologie ». Chaque président prononce un discours en lien avec un contexte politique spécifique, faisant de surcroît de ce site patrimonialisé un espace où les projets et devoirs de la nation américaine s’affichent aux yeux du monde. C’est précisément ce que Joe Biden fait entendre, lui qui est encore en campagne présidentielle lorsqu’il se rend à la Pointe du Hoc le 7 juin 2024, puisqu’il n’annonce s’en retirer que quelques semaines plus tard, en juillet 2024 :
« Si nous sommes réunis ici aujourd’hui, ce n’est pas seulement pour rendre hommage à ceux qui ont fait preuve d’une bravoure remarquable ce jour-là, le 6 juin 1944. C’est aussi pour écouter l’écho de leurs voix. Pour les entendre. Parce qu’elles nous appellent. Ils ne nous demandent pas de faire leur travail. Ils nous demandent de faire notre travail : protéger la liberté à notre époque, défendre la démocratie, résister à l’agression à l’étranger et dans notre pays, faire partie de quelque chose de plus grand que nous ».
L'érosion, une bataille perdue ?
Symbole du sacrifice américain en Normandie, le site fait l’objet d’une scrupuleuse surveillance de son état de santé qui, plus particulièrement depuis 2001, inquiète. En effet, la falaise menace alors de s’écrouler, fragilisée par un important épisode de pluie. Si, devant le bunker très stratégique qu’ont conquis les rangers, il y avait en 1944 20 mètres de terre, quelques 60 ans plus tard, il n’y en a plus que six mètres (en 2025, le blockhaus fait face au vide). En 2001, par arrêté préfectoral, le blockhaus surplombant la falaise est donc fermé au public car jugé trop dangereux. Il le sera pendant 10 années. C’est seulement après des études sur l’évolution du terrain que des travaux sont engagés en 2010 et 2011 avec pour objectif de stabiliser la roche. Dans un article paru 9 novembre 2010 (« Une société de Saint-Priest a sauvé un haut lieu du Débarquement », Le Progrès), il est question des travaux considérables entrepris par l’ABMC qui est parvenue à débloquer « une enveloppe de cinq millions de dollars pour sauver la falaise en ralentissant son recul et en sécurisant le bunker fermé depuis 2004 ». L’entreprise française de Saint-Priest, GTS, est chargée d’assurer les travaux qui, comme l’explique son directeur,
« ont consisté à combler les vides laissés par la mer en pied de falaise. “On a restructuré la géographie du site. Le blockhaus a été conforté avec des tirants et des micropieux pour désolidariser le mouvement de la falaise de celui du bunker et finalement ralentir l’œuvre du temps” ».
Ainsi le parking est-il non seulement déplacé, mais il est agrandi afin de pouvoir accueillir les 500 000 visiteurs attendus chaque année. Une haie très dense le sépare du site, de même qu’un bâtiment construit à l’entrée livre des informations sur les événements historiques et sur les hommes qui y ont participé. Une boucle à sens unique est désormais instaurée, les visiteurs ne pouvant plus déambuler librement. Le site étant par ailleurs classé Natura 20005, il est entendu qu’il sera restitué, après la campagne de rénovation, dans l’état où il était avant que la campagne de consolidation ne démarre. Cet important réaménagement est la première réalisation de l’Opération Grand Site « Normandie 44 ». Commencée en 2003-2004, l’opération – financée par l’État et les collectivités territoriales – concerne la réhabilitation de 11 sites6 qui, tous, sont liés au débarquement et à la Bataille de Normandie. En phase avec le développement socio-économique local, elle prévoit des aménagements qui, tout en respectant l’environnement naturel des lieux, sont soucieux de faciliter le tourisme. Le 6 juin 2011, le site consolidé est inauguré par John Kerry, sénateur américain, en présence de 1 500 personnes dont une dizaine de vétérans. L’inauguration, et plus largement, la réouverture au public font l’objet d’une couverture presse qui déborde du cadre régional. À cette occasion, l’Ambassadeur des États-Unis en France, Charles Rivkin, déclare :
« Aucun obstacle, aucune falaise ne pourra s’immiscer entre la France et les Etats-Unis, […]. Ce lieu qui nous réunit aujourd’hui est plus fort que le temps et que l’érosion de cette falaise contre laquelle nous nous battons. » (in : « 6 juin 1944 : La consolidation de la Pointe du Hoc inaugurée en présence de John Kerry », Ouest France, 06/06/2011).
Le propos est optimiste mais, avec du recul, on ne peut que constater qu’il est en complet décalage avec la réalité, tant les événements qui ont suivi l’ont contredite. Mai 2022, l’éperon rocheux si caractéristique qui s’avance dans la mer et qui est photographié à l’envie par des milliers de visiteurs a perdu une grande partie de sa surface. Suite à un éboulement, ne reste qu’une dent pointue de ce célèbre éperon dont Scott Desjardins prévoit qu’il disparaîtra à très court terme (France 3, 06/05/2022 ; Ouest France, O6/05/2022). Dans le même article, Marc Laurenceau, animateur du site D-day Overlord témoigne :

Le même jour, 20minutes parle d’« un symbole qui disparaît » ; sur leurs sites et dans le prolongement d’une dépêche de l’AFP, Le Point, BFM-TV, tendanceouest, leNouvelObs, Actu 17 et d’autres encore… titrent : « Effondrement à la Pointe du Hoc, haut lieu du Débarquement ». Dans Paris Normandie, le lendemain, Régis Leymarie – délégué adjoint Normandie du conservatoire du littoral – explique que ce phénomène n’est pas une surprise car « ces falaises sont en érosion depuis leur création ». Dans l’interview qu’il donne au quotidien, il revient sur les travaux engagés douze ans auparavant :
« Il y a une douzaine d’années, on avait convenu avec les Américains et les services de l’État que le confortement du pied de falaise de la Pointe du Hoc avait pour but de freiner l’érosion mais en aucun cas de l’arrêter. Le site n’était plus comme il était en 1944. […] On est sur un symbole de ce que vivent beaucoup de littoraux en Normandie et ailleurs avec une accélération du phénomène d’érosion ».
Or, en mars 2023, d’autres éboulis ont été constatés à proximité de la zone qui avait été concernée par les travaux menés douze ans auparavant. « Plusieurs centaines de mètres cubes de matériaux sont partis. On a constaté, un peu plus à l’est encore, que le même phénomène est en préparation. On ne sait pas quand cela va se produire, mais les fissures sont visibles et surtout, on voit les surplombs créés par la mer qui vient manger le pied de la falaise. »
De nouveaux travaux sont néanmoins engagés, cette fois-ci pour consolider le béton. Au printemps 2025, d’autres sont prévus pour réaménager le circuit de visite et pour déplacer la stèle qui rend hommage aux rangers et qui menace de tomber dans le vide. Leur coût : 14,7 millions d’euros. Est aussi imaginée l’installation d’une passerelle pour rejoindre le poste de commandement et éviter que les piétinements incessants des touristes ne fatiguent le sol. Les administrateurs du site font face à un dilemme : montrer les lieux pour faire comprendre les faits qui s’y sont déroulés et les protéger coûte que coûte au risque de les voir disparaître ; chercher des alternatives pour parler des faits historiques sans forcément fouler le sol qui les a accueillis. Ce qui est d’ailleurs en grande partie déjà le cas. C’est de cette tension dont parle Scott Desjardins dans Ouest France, à l’occasion des festivités des 80 ans du débarquement (« Débarquement : la bataille de l’érosion », 03/06/2024) :
« En poste depuis 2017, le superintendant de l’ABMC pour la pointe du Hoc a dû réaménager le lieu, devant la succession d’éboulements. En novembre 2023, le bunker dit “de Rudder”, du nom du colonel qui a mené l’assaut, a été fermé au public. Or, “la vue est très importante”, souligne Scott Desjardins. C’est celle qu’avait Rudder depuis son poste de commandement. “C’est un endroit sacré. Si on n’a pas de site, l’histoire des rangers va disparaître”. »




Pour l’heure, la visite de la Pointe du Hoc répond à cette double contrainte par la délimitation d’un chemin de circulation. Le public ne peut se déplacer que dans des zones précisément balisées. Ce qui n’est pas du goût de tous les visiteurs. Sur le site de Tripadvisor, à la page concernant la Pointe du Hoc, sur les 2 490 avis qu’on peut y lire (24/02/2025), 1 810 internautes donnent la mention « Excellent » au lieu, 513 « Très bon », 72 « Moyen », 37 « Médiocre », 58 « Horrible ». Certes, ces avis ne représentent que ceux et celles qui les postent mais il est intéressant de constater que, lorsque des critiques sont émises, elles portent sur l’impossibilité de déambuler sur la totalité du site, ou bien sur le fait que l’on ne peut visiter qu’un blockhaus, et/ou que l’on ne profite pas pleinement du point de vue sur la mer. Les visiteurs mécontents regrettent que le terrain inaccessible soit insuffisamment entretenu et, pour ceux et celles qui y étaient déjà venus, ils et elles comparent la visite actuelle à leur expérience passée et expriment de la déception. Parmi les avis négatifs7, on peut lire :
« Quelle déception… Je suis venue il y a 10 ans. Nous avions accès à tout… Désormais, nous sommes parqués comme des moutons. Aucun accès aux trous creusés par les obus… On ne se rend compte de rien. C’est nul de rendre un lieu aussi passionant aussi fade… » (avis et expérience datant de janvier 2025).
« Comme de nombreux autres avis je ne peux cacher ma déception suite à la visite de ce site.
Venu pour la première fois il y a une quinzaine d’année, le site était beaucoup accessible et libre. Désormais il faut suivre un chemin clôturé, on ne distingue quasi plus les trous d’obus car la végétation le recouvre. On se retrouve donc tous à suivre le même chemin, seul un bunker est visitable. Peut être est ce volontaire ou lié à un manque de financement mais le site ne semble peu entretenu et perd de son âme, quel dommage » (avis rédigé en janvier 2025 pour une expérience datant de mai 2024).« Visiteur régulier de la pointe, je n’y étais pas venu depuis quelques années. Quelle déception, on est parqué entre les grillages à mouton, il n’y a plus rien d’accessible, plus de découvertes ni d’aventure. Un petit chemin que l’on fait avec le flux des visiteurs. Dommage car ce site magnifique mérite mieux… Bêêêê » (avis et expérience datant de novembre 2024).
Une partie des visiteurs semble ne pas avoir compris les enjeux de préservation en lien avec la problématique environnementale. Mais ne nous y trompons pas, ces trois exemples ne sont pas représentatifs de la totalité des avis qui sont largement positifs et qui soulignent la qualité de la prestation touristique. Trois exemples :
« Tout est parfaitement expliqué à l’aide de panneaux judicieusement placé. J’ai ressenti beaucoup d’émotion et de gratitude, en particulier à la fin du parcours où sont mis en avant quelques-uns des héros de ce jour si particulier ». (avis et expérience datant du mois de novembre 2024)
« Contrairement, aux avis de personnes qui ont vu ce site “avant”, nous avons été impressionnés par ce site. Ici pas de pelouses nettes, mais la nature dans sa réalité. On voit bien l impact des bombes. certains lieus sont sécurisés. mais on voit bien ce qu on vécu tous ces jeunes qui sont arrivés ici. A voir : le court film proposé avant la visite . Là, ceux qui sont tombés ne sont pas des anonymes, mais bien “vivants”. Comme le dit un vétéran: quel gâchis! » (avis et expérience datant du mois d’octobre 2024)
« Nous avons passé un bon moment lors de notre visite à la pointe du Hoc riche en histoires et en émotions, à faire impérativement car belle balade » (avis et expérience datant du mois de juillet 2024).
Même s’ils sont à relativiser, les avis critiques vont dans le sens de ce que Scott Desjardins explique dans Ouest France. La vue fait partie de l’expérience immersive des visiteurs. Sans elle, le ressenti des visiteurs par rapport au sacrifice qu’ont vécu les rangers perd une dimension importante. C’est aussi ce que déclare Cyril Billard, archéologue à la Drac, qui s’exprime dans le Monde (« Débarquement : la bataille contre l’érosion », 03/06/2024) à propos du poste de commandement de Longues-sur-Mer dont est redouté qu’il ne s’effondre de la falaise, elle aussi touchée par l’érosion8 :
« “Si le poste de tir disparaît, on va avoir une perte de qualité patrimoniale monstrueuse”. […] L’archéologue de la DRAC regrette le manque de moyens des gestionnaires pour préserver les sites menacés. Il plaide, lui, pour un déplacement du bunker plus à l’intérieur des terres “avec un autre problème, la perte d’authenticité” ».


À Arromanches, Frédéric Sommier, directeur du Musée d’Arromanches, espère quant à lui que le recours à la réalité augmentée donnera à voir le port artificiel construit pour les Anglais pour approvisionner les troupes après le débarquement. Si, pour l’instant, l’expérience n’est pas concluante, il confie lui aussi dans ce même article du Monde que « ça fait partie des projets, de tendre vers ces technologies qui vont pallier la disparition des vestiges ». Car, selon Marc Laurenceau, historien du débarquement : « Il faut se préparer à la double disparition des témoins du 6 juin et des champs de bataille ».
Conclusion
Pour l’heure, le site de la Pointe du Hoc a fait le choix d’engager d’importants travaux pour protéger l’espace patrimonialisé. La dague devant laquelle les cérémonies sont organisées ainsi que les plaques commémoratives seront déplacées pour rejoindre une place, à l’entrée du site, là où les noms des rangers sont inscrits. Moins spectaculaires, les cérémonies commémoratives seront néanmoins plus respectueuses du site, évitant en outre un surcroît de déplacements à la pointe.

De leur côté, d’autres sites ont opté pour une approche différente. Par exemple, au Centre Juno Beach Juno, à Courseulles-sur-Mer, l’idée est de lutter contre le changement climatique en soutenant notamment les efforts que les visiteurs font en ce sens. Ceux qui se rendent sur le site en voyageant en train ou à vélo bénéficient d’un tarif bas carbone. Sur une page dédiée, le centre présente le tournant de l’année 2019, date à partir de laquelle le développement durable est entré de plein pied dans la stratégie mémorielle. Ce sont Nathalie Worthington, directrice en charge de la démarche de développement durable du musée et Maxime Bouché, directeur adjoint, responsable des boutiques et de la stratégie bas carbone, qui expliquent la démarche, fondée sur quatre piliers, dont ils envisagent des passerelles avec les missions historique et mémorielle : « La sobriété par la réduction de notre empreinte environnementale et l’émergence d’une économie circulaire, le ralliement à travers notre engagement envers nos visiteurs et nos collaborateurs, la préservation par des actions en faveur de la biodiversité, et l’entraide pour agir avec les autres ».
Le lien entre mémoire et développement durable ne se fait pas forcément de façon spontanée. Nathalie Worthington y répond en expliquant : « Une démarche de développement durable, c’est un engagement qui s’inscrit dans les pas de ceux qui se sont sacrifiés pour la paix et la liberté dont nous avons pu bénéficier depuis maintenant près de 80 ans ». Concrètement, le centre explique vouloir protéger l’œuvre de ceux qui ont sacrifié leur vie : « Ils ont livré bataille pour protéger notre pays et notre liberté. Sauvegardons maintenant ensemble ce qu’ils ont défendu ».
La réponse que les sites historiques donnent aux problèmes que posent les transformations environnementales est à corréler avec l’investissement mémoriel qui leur est propre. Ainsi la Pointe du Hoc est-elle parée d’une telle charge héroïque qu’il semble inconcevable de ne pas pouvoir rejoindre la pointe et d’y embrasser du regard les falaises qu’ont escaladées les rangers de façon si spectaculaire. Mais cette aspiration a un coût ; elle aggrave des espaces déjà fragilisés. Si bien qu’un jour peut-être, son accès ne sera pas seulement limité comme cela est actuellement le cas, mais totalement empêché.
- Dans un article de La Renaissance sur Actu.fr (« D-Day : peut-on sauver le site emblématique de la Pointe du Hoc ? », 23/05/2023), Scott Desjardins - superintendant du cimetière militaire américain de Colleville-sur-Mer et de la Pointe du Hoc - déclarait : « La question n’est pas de savoir si la Pointe du Hoc va disparaître. La question, c’est quand ».
- « Un site classé est un lieu dont le caractère exceptionnel a justifié une mesure de protection au niveau national, dans l’objectif de conserver les caractéristiques du site et de le préserver de toute atteinte grave. Protéger un patrimoine remarquable pour le transmettre aux générations futures, tel est le sens donné par le législateur au classement d’un site. Le classement est une protection forte destinée à conserver les sites d’une valeur exceptionnelle. C’est pourquoi les sites classés doivent être préservés de toute atteinte (destruction, banalisation, dégradation, altération…). La procédure de classement est régie par la loi du 21 avril 1906, complétée par la loi du 2 mai 1930. Elle est désormais codifiée aux articles L 341-1 à 22 du Code de l’environnement. À l’occasion de la procédure du classement, sont définies les caractéristiques et les valeurs du site qui justifient de le protéger pour les générations futures. Celles-ci se réfèrent à l’intérêt du site qui doit être caractérisé "du point de vue artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque", selon les termes de la loi » [https://www.normandie.developpement-durable.gouv.fr/sites-classes-a4271.html].
- Carpentier, Vincent et Marcigny, Cyril, 2014 [2019]. Archéologie du débarquement et de la bataille de Normandie. Rennes, Éd. Ouest France, p. 58.
- Carpentier, Vincent 2022. Pour une archéologie de la Seconde Guerre mondiale. Paris, Éd. La Découverte, p. 22.
- « La pointe du Hoc et les falaises qui l’entourent ont intégré le réseau européen Natura 2000 et c’est désormais une Zone de Protection Spéciale en raison de la présence d’importantes colonies d’oiseaux marins nicheurs (mouette tridactyle, pétrel fulmar...) » (https:// www.donnees.normandie.developpement-durable.gouv.fr/pdf/SITES/14083f.pdf).
- Les 11 sites concernés par l’Opération grand Site « Normandie 44 » sont Utah Beach, Pointe du Hoc, Omaha Beach, Gold Beach, Juno Beach, Sword Beach, Pegasus Bridge, Mémorial de Caen, Cimetière américain de Colleville-sur-Mer, Cimetière militaire allemand de La Cambe, Arromanches-les-Bains.
- Dans cette partie de témoignages, comme dans la suivante, la graphie d’origine a été conservée.
- Certaines scènes du film Le Jour le plus long ont été tournées sans ce poste de commandement.
